JEAN-MICHEL HUET . PSYCHANALYSTE

Psychothérapeute spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire.

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HISTOIRE DE L’ANOREXIE MENTALE

La Sainte Anorexie

"Quand je suis faible, alors je suis fort"
Saint Paul (2 Co 12, 10)

"Ieunium amare" (aimer le jeûne)
Saint Benoit (RB 4,13)

L'anorexie antique et médiévale


    Les premières descriptions de comportements d’allure anorectique datent des débuts de l’ère chrétienne, particulièrement chez les adeptes du monachisme, c’est-à-dire les ancêtres des premiers moines.
     Alors que dans le judaisme il existe des jeûnes religieux tels que celui pratiqué à l’occasion de Yom Kippour, ceux-ci ne dépassent guère la journée et ne sont guère l’occasion de pratiques individuelles excessives. Les premiers "cénobites" chrétiens se sont très tôt, aux alentours de l’an 400, livrés à la restriction alimentaire. Selon CASSIEN, l’Ordo monasterii observe vers 425, cinq jours de jeûne sur sept.

    Au 4ème siécle, Saint SIMEON Stylite, moine de Syrie vivant au sommet d’une colonne sans jamais se coucher, étonne ses visiteurs et construit sa renommée sur une abstinence quasi-complète de nourriture combinée avec des une activité gymnastique constante proche de ce nous qualifierions actuellement d’hyper-activité.

     En effet, pour mieux rendre grâce à Dieu Saint Simeon opérait des sortes "d’inclinations profondes " que nous pourrions qualifier en language moderne de "pompes" , ceci jusqu’à 1244 fois par jour, selon un témoin qui n’eût pas la patience ou le courage de compter plus loin...

    A la période médiévale, particulièrement des années entre 1200 et 1500, les chroniques et les hagiographies de cette période parlent de plusieurs saintes au comportement alimentaire surprenant.

    La plus connue. Sainte Catherine de Sienne (1347-1380) ne se nourrissait que d’une « poignée d’herbes «  ( c’est à dire de légumes selon la terminologie de l’époque ) et se faisait vomir si elle avait été forcée d’avaler de la nourriture.

    Sainte Béatrice de Nazareth vomissait à la simple odeur de la viande.

    D’autres saintes se couvraient la face à la vue de la nourriture et au moins une d’entre elles a péri de faim.

    Sainte Véronique, au 17e siècle, s’obligeait à ne rien manger pendant des périodes de trois jours sauf le vendredi où elle s’autorisait à mâcher cinq pépins d’orange en souvenir des cinq plaies du Christ.

    Cependant, malgré les points communs entre ces comportements mystiques et l’anorexie moderne, certains auteurs font remarquer que pour un même comportement, les significations peuvent grandement se différencier à des époques et dans les milieux culturels et religieux différents. De plus, les saintes évoquées ne sont pas toutes, loin de là des adolescentes ou de jeunes adultes.

    Le jeûne représente un aspect important de la spiritualité médiévale mais il ne concernait pas les deux sexes de la même façon. En effet, on ne retrouve que peu de saints masculins entreprenant des jeûnes aussi extrêmes. A cette période, la survie sans nourriture signifiait que d’autres formes de nourritures spirituelles compensaient les effets du jeûne: la prière fournissait de quoi survivre à la manière de l’eucharistie chrétienne: le corps et le sang du Christ représentés par l’hostie et le vin.


    Cependant, il convient de remarquer, au-delà des apparences , les différences entre les "anorexies miraculeuses" et les anorexies contemporaines. En effet, la Recherche des saintes anorexiques différent de la clinique actuelle dans la mesure où ce qui est recherché est l’absence d’alimentation.

    En aucun cas, la question du poids, ne vient dans le discours de nos saintes, alors qu’il est prépondérant dans le discours actuel. Le concept des calories n’a pas été inventé à cette époque, il ne peut donc en être question mais celui de poids existe, dans son application au commerce, depuis fort longtemps. Il n’est, par contre, jamais mentionné par nos sujets car leur préoccupation n’est pas leur poids mais une question de pureté appliquée aux ingestats.

Les jeûneuses confrontées à la science: du 17ème au 19ème siècle    


    Au 17ème et au 18ème siècles, des médecins dotés d’une tournure d’esprit plus scientifique commencèrent à s’intéresser à ces comportements qu’ils dénommèrent:


    Il semble que l’on puisse attribuer la première description de l’anorexie mentale à Richard MORTON en 1694 dans son « Phtisiologia » ou « Traité des consomptions ». MORTON, médecin de James II d’Angleterre, fait, à partir de deux cas, un jeune homme de 18 ans et une jeune fille de 16 un tableau clinique détaillé avec manque d’appétit, refus de nourriture, aménorrhée, hyperactivité et cachexie. MORTON ajoute que cet état se rencontre chez « ceux qui ont vécu en état de virginité », ce qui indique que ce trouble n’était ni rare, ni réservé exclusivement à l’adolescence.

    La disparition de la culture médiévale, jointe à l’apparition du mouvement de la réforme et à la méfiance accrue de l’église catholique pour le culte des saints, modifie quelque peu la position des jeûneuses miraculeuses qui sont maintenant accessibles à l’examen des autorités séculières et médicales.

    Au plus fort de la réforme, une abstinence prolongée de nourriture était considérée comme possession diabolique plutôt qu’oeuvre divine, c’est à ce moment que même les autorités religieuses commencent à soupçonner quelque folie sous le désir de mortification.

    Cependant quelques cas subsistèrent à bas bruit en Europe, se contentant d’une notoriété locale. Ces quelques cas sont représentés par des jeunes filles d’humble origine ne se nourrissant que d’aliments délicats évoquant l’idée de pureté: fleurs ou même odeurs de fleurs. La nature de ces créatures éthérées est si délicate qu’elle ne peut s’accommoder d’aliments grossiers.


    L’histoire d’Eva FLIEGEN est, à cet égard, édifiante. Vers 1600, la « jeûneuse de MEURS » en Hollande fut conduite dans le verger d’un notable local dont on l’encouragea à goûter les fruits. A peine eut-elle porté une cerise à ses lèvres qu’elle en tomba malade et failli en mourir.

    Outre l’ingestion de nourritures terrestres, le statut de « vierge miraculeuse » n’était pas sans danger dans la mesure où, au 16ème siècle, une jeune fille allemande convaincue de fraude fût exécutée quand on découvrit qu’elle se nourrissait en cachette. De tels comportements au « siècle des lumières » soulevèrent de plus en plus de scepticisme de la part des autorités médicales et scientifiques. La théorie de la fermentation corporelle et la conception du sang comme fluide réutilisable amena REYNOLDS (aux alentours de 1680) à conclure que ces pucelles pouvaient survivre sans manger sans pour autant être des « vierges miraculeuses »

    Le cas de Ann MOORE, « la Jeûneuse de TUTBURY » en Angleterre, au tout début du 19ème siècle souleva un formidable intérêt s’étendant jusqu’aux Amériques. Celle-ci, pécheresse repentie, qui se manifestait surtout jusque là par une forte piété, commença en 1807 une anorexie qui devait bientôt devenir publique et célèbre.

Une première enquête donna quatre hypothèses:
- l’anorexie comme manifestation du pouvoir surnaturel de Dieu
- il est possible de vivre à partir de « l’air »
- la malade souffrait d’une maladie de l’oesophage l’empêchant de manger
- l’imposture

    Au bout de cinq ans, en 1812, les autorités locales religieuses et séculaires entreprirent une nouvelle enquête. Une observation d’un mois fût mise en place de la manière la plus stricte. Après une semaine, Ann MOORE semblait gravement malade et malgré les demandes de sa fille l’observation continua encore pendant dix jours au bout desquels il fut trouvé sous son lit une couverture imbibée d’urine, ce qui indiquait qu’elle se nourrissait puisqu’elle rejetait de l’urine puis on la surprit en train de se sustenter à l’aide de mouchoirs imprégnés d’eau et de vinaigre

Prise sur le fait Ann MOORE fut forcée d’avouer son imposture. Une telle victoire de « la science et la morale » eut des implications pendant tout le 19ème siècle, et pendant de nombreuses années le nom d’Ann MOORE fut associé à l’imposture.

    La confrontation suivante entre science et anorexie miraculeuse devait se dérouler autour des années 1870, l’autorité médicale se sentant suffisamment sûre d’elle-même pour aller jusqu’au bout de la confrontation.

    Au pays de Galles, une jeune fille de 12 ans, Sarah JACOB, ayant commencé à jeûner en 1867, ne mangeait " qu’une petite pomme, de la grossseur d’une pillule dans une cuillère à thé".
Après enquête, le cas devint célèbre et objet d’admiration pour des centaines de visiteurs, ayant succombé à l’important battage fait autour d’elle.

    En Novembre 1869, les autorités médicales de Londres envoyèrent quatre infirmières de confiance au pays de Galles pour vérifier les prétentions de Sarah JACOB. Après négociations, la maison fût fouillée à la recherche de nourriture cachée, sa soeur cadette ne fût plus autorisée à partager sa couche et la veille commença.

     Les infirmières furent expressément interdites de donner quelque nourriture à la patiente, sous prétexte qu’aux dires des parents lui proposer de la nourriture ne contribuerait qu’à l’affaiblir et qu’ils lui avaient promis de ne plus lui proposer de nourriture sans qu’elle le demande. Au bout de 36 heures, les infirmières purent observer l’apparition de taches d’urine sur sa chemise de nuit, mais le père interdit aux médecins l’examen intime de sa fille. Au 6ème jour la jeune fille s’affaiblissant, les infirmières demandèrent aux médecins et aux parents l’autorisation de la nourrir mais les parents refusèrent de peur que l’on ne mette en doute leur honnêteté, malgré les pressions médicales. Le 10ème jour, Sarah JACOB mourut et ses parents furent condamnés à des peines d’un an et de six mois de prison pour meurtre.

    La science médicale avait enfin remporté une victoire incontestable sur l’anorexie miraculeuse. La mode en disparut lentement et les quelques suivantes se gardèrent bien de se confronter de trop prés à un examen strict.

     L’anorexie dite « mentale » entrait de plein droit dans le domaine médical en sortant de celui de la mystique.

L’anorexie moderne

    La question de la découverte médicale de l’anorexie mentale reste un sujet disputé entre français et anglais. En effet, les deux pays revendiquent énergiquement l’invention de l’anorexie mentale.

    D’un coté, sir William GULL, médecin privé de SM Victoria, reine d’Angleterre, impératrice des Indes (mais également, pour la petite histoire, un des principaux suspects d’être Jack l’éventreur) parle dès 1869 "d’ l’apepsie hystérique" concernant des jeunes femmes refusant de s’alimenter, alors qu’elles sont déjà très amaigries, puis en  Juillet 1874, publie pour la première fois une description de "l’anorexia nervosa".

    Entre temps, le psychiatre Charles LASEGUE, inspecteur général adjoint des maisons d’aliénés et médecin du dépôt spécial de la préfecture de police a publié en 1873 la description de ses résultats tirés de l’examen de huit patients soignés pour "anorexie hystérique".

    C’est à Jean-Martin CHARCOT, qui fut l’un des maîtres de FREUD en psychiatrie, que l’hospitalisation avec isolement est due alors que LASEGUE ne la prescrit aucunement. CHARCOT imagine ainsi de forcer la patiente anorexique à manger par l’ennui et l’isolement de son entourage. La méthode de l'isolement a été pratiquée de manière courante en FRANCE jusque dans les années 70.

     Cette méthode actuellement très décriée présente l’avantage d’être extrêmement efficace au très court terme. Malheureusement si elle permet une reprise de poids dans des cas de dénutrition extrême, elle reste inefficace à long terme dans la mesure où le poids gagné parfois difficilement est perdu bien plus vite qu’il n’a été gagné dès la fin de l’hospitalisation. De plus, les conséquences psychologiques sur la confiance envers les soignants d’une méthode aussi expéditive ne sont guère aisées à dissiper.

    Les rares cas décrits par Sigmund FREUD, dans ses descriptions cliniques, rattachent l’anorexie à l’hystérie mais, visiblement pour le père de la psychanalyse, l’anorexie ne constitue qu’un symptôme annexe qui ne mérite guère son attention.

     La psychanalyse classique n’y portera guère qu’un regard anecdotique pendant longtemps, peut-être, à sa décharge, faut-il aussi imaginer que pendant longtemps la pathologie a été peu répandue.

    J’en donnerai pour exemple une expérience personnelle, en 1988, alors que j’étais aux Etats-unis pour présenter une communication (on anorectic transference), des amis américains m’ont donné l’occasion de rencontrer un psychanalyste américain retraité lors d’un dîner qui s’est avéré passionnant. En effet, notre expérience de l’anorexie était radicalement différente, sa pratique entre les années 1940 et 1980 environ, dans une grande ville, ne lui avait donné l’occasion que de suivre quatre patientes anorexiques en tout et pour tout, alors que la mienne, pourtant débutante, se contentait d’en suivre presque deux fois plus par semaine. C’est dire la différence radicale de l’incidence de l’anorexie mentale entre ces deux époques.

    Le grand nom à citer, dans l’intérêt porté à l’émergence de l’anorexie mais aussi de l’obésité, est celui d’ HILDE BRUCH, psychiatre allemande émigrée aux Etats-unis pour fuir les persécutions nazies, ses ouvrages les plus connus sont " Les yeux et le ventre" et " La cage dorée"

En France, il nous faut citer l’ouvrage princeps de Jean, Edith KESTEMBERG et Suzanne DECOBERT " La faim et le corps" en 1972 puis, celui de Bernard BRUSSET " L’assiette et le miroir" en 1977.


HISTOIRE DE LA BOULIMIE



    Contrairement à ce l’on peut parfois lire ou entendre, il est hasardeux de faire entrer les comportements alimentaires des "orgies", ou plus exactement des banquets de l’époque de l’empire romain dans le cadre des conduites boulimiques. En effet, même si les apparences vont dans le sens d’une similarité dans les aspects de quantité de nourritures ingérées et dans, parfois, l’utilisation de vomissements pour se soulager le contexte est radicalement différent.

    Tout d’abord, nous ne possédons qu’étonnamment peu de textes sur les moeurs romaines à table. Ce sont surtout, soit des romans tels que le "Satyricon" de Petrone où est décrit avec force détails, voire exagération, le banquet du riche affranchi Trimalcion ou " l’âne d’or " d’Apulée ou des "Vitae" telles que " Les vies des douze Césars" de Suétone où sont parfois décrits les banquets, non de simples particuliers mais des empereurs, le trait y est souvent chargé puisque à l’époque le but était de présenter aux générations futures des exemples à suivre, ou à ne pas suivre, quitte à exagérer ou à inventer pour mieux convaincre.

    Enfin, il convient de rappeler, certains faits qui différencient les moeurs romaines aussi démesurées soit-elles des comportements boulimiques. Tout d’abord, la quantité et la rareté sont une obsession de la société romaine de l’empire OCTAVIUS rival du célèbre APICIUS (1er siècle après JC) allant jusqu’à payer 5000 sesterces pour un surmulet d’une taille exceptionnelle, sans que la question de son goût n’entre jamais en compte, de manière à impressionner ses convives.

     Le banquet est un acte social, et non solitaire comme la boulimie, où le statut de l’hôte est caractérisé par l’abondance et la rareté, donc la cherté des plats proposés. Les plats proposés, dans un contexte de richesse extrême de la puissance invitante il ne faut pas l’oublier, ne représentent aucunement un échantillon signifiant de l’alimentation romaine. Ils ne sont que les seuls ayant laissé trace, du moins dans l’imagination, durant 1500 ans d’histoire. Dans un tel contexte, la richesse et la variété des plats offerts ne s’appliquent qu’aux hôtes de marque, les invités de moindre importance devant se contenter de ce qu’on lui servira, de mets de moindre qualité. De plus, chacun repartira avec l’équivalent d’un "doggy-bag" prélevé sur les restes du repas.

    Ainsi le cliché du gavage suivi de vomissements ne s’applique qu’à une minorité d’invités de marque, eux même issus d’une minorité de personnages suffisamment notables pour être invités dans le cadre d’un banquet, c’est à dire une partie infime de la population romaine.

    Pendant quelque quatorze siècles, après la chute de l’empire romain d’occident en 476, seuls quelques rares descriptions médicales parleront de "boulimus" qu’il faudrait peut-être rattacher à l’hyperphagie qu’à une véritable boulimie telle que nous la concevons.

    Le " New Dictionary of Medical Science " au 19ème siècle donne  la définition du terme " boulimia " : " de bœuf et de faim - (faim de bœuf): l’appétit féroce. Cependant, entre 1844 et 1944, il n’apparaîtra dans la sphère médicale américaine aucune description de boulimie.

    En Europe, nous retrouvons GULL, qui repère en 1873 que certains patients présentent entre les périodes de renoncement à la nourriture des périodes d’appétit particulièrement vorace  mais aussi LASEGUE qui décrit un "faux appétit impérieux" dans un comportement inverse à l’anorexie chez certains hystériques. Pierre JANET décrit en 1903 avec le cas de Nadia un comportement boulimique franc.

    Aux Etats-unis en 1959, STUNKARD, rapproche la boulimie de l’obésité.

     Grâce aux travaux de Laurence IGOUIN et de Bernard BRUSSET à la fin des années 70, en France, la boulimie se différenciera de l’anorexie et de l’obésité en tant qu’entité autonome.



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