Vivre avec une personne souffrant de troubles
du comportement alimentaire
Conférence du 09
octobre 2008, 9ème symposium de l’association AUTREMENT : "Les troubles
du comportement alimentaire dans leur environnement"
Alors que la
thérapeutique, qu’elle soit
médicale ou
psychothérapique,
des sujets souffrant de
troubles du comportement alimentaire a été
largement abordée dans la littérature, la question de l’aide à apporter
à l’
entourage reste un terrain pour ainsi dire vierge, du moins dans la
littérature. Dans un premier l’intérêt porté à l’entourage, la famille
le plus souvent a eu pour but premier, que ce soit dans l’approche
d’inspiration
psychanalytique ou ensuite plus particulièrement dans
l’approche
systémique, de chercher à expliquer par les
influences forcément causales sinon délétères du milieu familial les
origines du mal.
Remettre les idées en place :
Sans pour autant négliger ou nier les possibles
causes familiales, nous
insistons bien ici sur le terme
causal pour le différencier de la
responsabilité voire de la
culpabilité familiale. Force nous est de
constater qu’une telle approche a fortement orienté la vision de
la famille dans la conception médicale. Les familles ou l’entourage
étant implicitement vus comme à l’
origine de la
pathologie sont donc
considérés, sans le dire ou parfois même le penser consciemment, ce qui
constitue le pire des cas de figure, dans le camp du
symptôme pas dans
le camp
thérapeutique. De ce fait découlent plusieurs
conséquences: tout d’abord la famille est préférée à l’écart du
soin y
compris dans ce qu’il a de plus quotidien, ensuite elle est rarement
utilisée comme
alliée dans la démarche de soin ou la vie quotidienne et
enfin sa
souffrance n’est que rarement, voire jamais prise en compte.
Cependant l’évolution dans notre société des formes de
l’anorexie ou de
la
boulimie doit nous inciter à considérer le tableau d’une manière
différente, plus adaptée aux tableaux
cliniques actuels. En effet,
à ce jour, les
troubles alimentaires ne concernent plus
uniquement des
adolescentes ou de jeunes adultes, comme on aurait
tendance à le concevoir par facilité ou méconnaissance de l’évolution
de la clinique. Beaucoup de ces jeunes
patientes ont vieilli ou muri,
se sont dégagées de la cellule familiale d’origine pour
s’installer en
couple ou pour fonder elles-mêmes une famille avec
éventuellement des enfants. De plus, depuis quelque temps on a pu
assister à une augmentation notable de l’apparition de
troubles
anorexiques initiaux chez des femmes largement sorties de
l’adolescence, sans
antécédents notables de
troubles alimentaires
repérables.
La question de la causalité des
symptômes nous obligerait donc, si
l’on tient à l’hypothèse de la
causalité familiale simple, à postuler
une origine également dans un couple
pathologique (choix d’un conjoint
pathogène) et peut-être même dans une relation
pathologique mère enfant
mais où la patiente désignée serait la
mère d’enfants
pathogènes et non plus l’enfant d’une mère
pathologique. L’évolution incontestable des tableaux cliniques depuis les
dernières années en rend la causalité vertigineuse si l’on ne craint de
s’y pencher.
Tous ces faits posent la nécessité d’une approche spécifique centrée
sur la
souffrance de l’entourage des
patients souffrant de
TCA. Cette
approche, qui ne nie pas la nécessité vitale de la prise en charge
spécifique du
patient atteint d’
anorexie ou de
boulimie, devrait se
penser en tant qu’adjonction de moyens supplémentaires à la
guérison du
patient désigné. Dans un contexte généralement aussi
précaire que le mode de vie des
malades souffrant de
troubles
alimentaires, toute aide de l’entourage, au sens le plus large
possible, pour lutter contre les
symptômes est la bienvenue. Un
entourage mis en accusation, mal informé, et lui-même en
souffrance ne
va pas évidemment pas dans le sens d’une
aide efficace.
Comme préliminaire à notre développement, nous tenons à préciser que
notre propos ne s’adressant aucunement à la question du
suivi
spécifique et individuel du sujet
malade, il n’en sera pas ou peu
question dans l’exposé qui va suivre. Ceci ne signifie en aucun cas que
nous jugeons la
thérapie individuelle comme mineure, elle est au
contraire essentielle mais plutôt, une fois n’est pas coutume,
l’exposé va s’attacher aux conditions, à l’environnement, au cadre plus
général qui entoure les sujets souffrant de
TCA.
L’accompagnement des
familles, ou de l’
entourage au sens large par un
ou des
professionnels, voire d’anciennes
patientes ne présentant plus
de troubles telles qu’
AUTREMENT les associe, doit se concevoir dans un
double but :
Contenir et soutenir mais aussi informer ou même former.
Contenir et
soutenir :
Le premier doit être considéré comme une adjonction au travail
thérapeutique individuel du sujet
malade, pour mettre en place, hors
les
séances individuelles du
patient, un environnement quotidien
suffisamment contenant et bienveillant pour faciliter, sans pour autant
s’y immiscer, le difficile travail sur soi-même du
patient. Ce but se
présente donc plutôt comme une
information claire, concise et
personnalisée, c’est-à-dire centrée sur le problème ici et maintenant
du sujet
malade, de ce que sont les
troubles alimentaires. Cette
information est à centrer sur deux points essentiels : le vécu de
la personne
malade et une
information de ce qu’est la
maladie.
De cette nécessité double découle une nécessité d’un double soutien,
d’un
professionnel expérimenté et d’une personne ayant vécu de
l’intérieur les
troubles alimentaires.
Il va sans dire que le
professionnel chargé de l’
accompagnement de
l’entourage ne peut en aucun cas être celui qui suit de manière
individuelle le sujet atteint de
TCA, même si une expérience pratique
du
suivi thérapeutique portant sur
les troubles alimentaires est de
loin recommandée. Cet
accompagnement a pour but spécifique de donner
aux
interactions thérapeutiques individuelles un environnement au mieux
soutenant, au pire neutre, mais en tout cas d’éviter un parasitage
négatif, par ignorance le plus souvent.
En outre, on peut même conseiller un accès facile à une personne ayant
un vécu personnel, de première main de la
maladie. En effet, même un
professionnel aguerri n’a le plus souvent jamais vécu, éprouvé la
maladie alimentaire du coté du
patient. Cette expérience de première
main est essentielle dans la compréhension du
vécu de nos
patients. En
effet, à mon sens, Â quelle que soit l’expérience du
soignant,
jamais il n’a vécu, à part cas exceptionnel le trajet de la personne
souffrant de
troubles de l’alimentation dans son quotidien. La violence
hospitalière et
soignante lui a été le plus souvent épargnée dans la
mesure où même s’il s’est retrouvé parfois
patient, il l’a été en tant
que
soignant éventuellement
souffrant, c’est-à-dire connaissant les
codes et les usages du monde
hospitalier et/ou
soignant au sens large,
avec toute la considération attachée par le personnel à un collègue
potentiel ou parfois même déjà connu.
Ce
vécu se différencie donc radicalement de celui du sujet
malade d’une
maladie particulièrement suspecte aux yeux des
soignants, suspecte de
mauvaise volonté, de
dissimulation, voire de
manipulation ou de
perversité. De ce fait seul un sujet ayant été en but à la suspicion,
aux
soupçons, est capable, s’il a pris suffisamment de recul sur cette
triste expérience, de décrire les sentiments éprouvés par le
patient
atteint de
TCA confronté à l’incompréhension de l’entourage au sens
large. Ces témoignages irréfutables, d’autant plus qu’ils
viennent de personnes s’étant débarrassées de la
maladie, sont précieux
et pour aider l’
entourage à comprendre les enjeux et pour aider le
sujet
malade lui-même.
Le second but consiste en une prise en charge de la
souffrance et
particulièrement des
angoisses de l’entourage. Ceci peut
paraïtre évident mais il nous semble nécessaire de le rappeler,
vivre avec un
malade, quelle que soit la
maladie est une expérience
éprouvante. Cette affirmation est d’autant plus vraie dans le cadre des
troubles alimentaires dans la mesure où ceux-ci sont rarement
considérés par les profanes, voire par les
malades eux-mêmes ou
certains
soignants comme une «
vraie maladie». En effet,
la
dimension morale est régulièrement mise en avant, masquant
complètement la
réalité pathologique du
symptôme. Le
trouble
alimentaire y est interprété comme
mauvaise volonté,
opposition,
agression,
manipulation ou
vice comme si la
patiente avait un
contrôle
entier sur ses
symptômes. Trop souvent l’
entourage assène ses
solutions simples voire simplistes du type «
tu n’as qu’à faire
un effort » pour tenter de résoudre le problème. Une simple
rencontre avec un
professionnel confirmé des
troubles alimentaires peut
parfois désamorcer par une situation explosive. Nous proposerons donc
non une
prise en charge régulière pour ce faire mais plutôt des
rencontres à la demande quand la tension devient insupportable.
La question des enfants de
patientes ou même de
patients souffrant de
TCA se pose également mais de manière légèrement différente. Alors que
traditionnellement, l
’entourage de ces
patients était jusqu’ici
constitué en majeure partie de personnes adultes l’évolution des
tableaux cliniques a fait que nous sommes confrontés à des situations
plus difficiles. Le vécu des enfants de patients
souffrant de
TCA
mérite que l’on s’y arrête quelque peu. Ces enfants se retrouvent dans
une
problématique où non seulement le parent
souffre d’une maladie de
l’
adolescence qui n’est pas de son âge, mais en plus sa position
parentale se trouve notablement affaiblie du fait de son manque de
crédibilité quant aux fondamentaux éducatifs. En effet, comment une
mère le plus souvent, ou parfois un père peuvent-ils garder la moindre
autorité sur leurs enfants quand eux-mêmes refusent de se plier à la
nature et au sens commun de
l’alimentation, surtout quand on accepte de
se souvenir quels enjeux de pouvoir représentent l’
alimentation des
enfants dans la dynamique familiale ?
La problématique même des enfants demanderait un traitement particulier
de par leur incapacité fondamentale mais provisoire à conceptualiser la
notion même de
troubles psychologiques. En effet, l’immaturité
intellectuelle et affective qui caractérise les enfants et les
adolescents, voire certains jeunes adultes, les rend incapable de se
représenter, ne serait-ce qu’imparfaitement les causes et les
conséquences des
troubles de l’alimentation. Ceci d’autant plus quand
on considère la difficulté que rencontre les adultes, profanes ou
faisant partie du corps médical, à aborder
boulimie ou
anorexie d’une
manière qui ne soit entachée de graves
préjugés, malgré une
information
pléthorique et aisément disponible à l’époque
d’Internet.
Une aide efficace pour les enfants «
victimes » des
troubles alimentaires d’un de leurs parents devrait se situer,
comme pour les adultes d’ailleurs mais avec une certaine
adaptation à
leur niveau de compréhension (intellectuelle et affective), une
information, autant que possible par un
professionnel de l’enfance
ayant connaissance précise des
troubles alimentaires (
psychologue ou
pédopsychiatre) associée à un soutien affectif par une personne solide
et fiable.
Informer ou même
former :
Dans un premier temps, force nous est de constater que l’image donnée
des
TCA dans les
médias est généralement fort
déformée par rapport à la
réalité, de plus l’insistance constante d’une certaine presse dite
féminine sur la question de la ligne et des
régimes ne va pas dans le
sens d’une clarification des problèmes. Car il n’est pas rare de
trouver dans un même magazine, à quelques pages d’intervalle voire sur
une page adjacente, un article catastrophiste sur l’
épidémie des
troubles alimentaires qui toucherait une
adolescente sur trois
voisinant avec les conseils d’un nouveau
régime miracle qui promet à
l’innocente de lui faire perdre avant le prochain numéro ( et le
prochain nouveau
régime ! ) les
bourrelets disgracieux et les
kilos en
trop, selon l’expression consacrée.
A ce régime, sont mis sur un pied d’égalité
troubles alimentaires et
régimes esthétiques, confortant dans l’esprit du public une confusion
entre futilité esthétique et
troubles psychologiques. Les magazines «
people » se trouvent en outre en position très
ambiguë entre
dénonciation et admiration de l’
anorexie/
perte de poids
enviable de telle ou telle actrice, chanteuse ou pseudo-célébrité
suivie comme un feuilleton. La mort par
dénutrition du jeune mannequin
brésilien durant l’été 2007, n’aura guère marqué durablement les
esprits, échouant par là, même si cela n’était surement pas son propos
initial, à sensibiliser l’opinion quant au sérieux du problème des
TCA.
Le conseil
médical ou
paramédical des intervenants non
spécialisés dans
les
troubles de l’alimentation ne semble généralement guère plus fiable
ou plus sensé, alors qu’il est généralement considéré avec beaucoup de
respect par les familles. Ceci d’autant plus que le manque de
formation
se fait cruellement sentir rapidement au contact de
patients maintenant
surinformés, disqualifiant sans appel une bonne partie du corps
médical
qui n’ose avouer son ignorance de peur de perdre sa crédibilité alors
que celle-ci s’étale rapidement au grand jour devant le
patient et
parfois même sa
famille. Nombreuses sont les
patientes et parfois même
les
familles dont la première plainte est de ne pas trouver chez le
corps
médical une
écoute qui puisse leur sembler compétente : «
mon médecin, j’en sais plus que lui » ou «
ma
diététicienne elle m’explique les calories alors que je connais les
tables par coeur et que mon problème ce n’est pas ce que je devrais
manger, ça je le sais, mais plutôt comment faire ! »
En outre, le développement foudroyant non contrôlé et non contrôlable
de la sphère
internet ne va pas dans le sens, pour le profane ou
l’honnête homme, d’une clarification des problèmes. L’immense bazar de
l’information où les informations les plus fantaisistes ou
parfois même les plus
folles côtoient les études
médicales les plus
fiables contribue à obscurcir la question pour le non
spécialiste. Au
moment où nous écrivons ce texte la recherche
GOOGLE du mot «
anorexie » donne 20 6400 000 résultats, celle
du mot «
boulimie » 10 760 000. Dans les trois
premières pages, les seules généralement consultées par l’internaute
moyen, on trouve pêle-mêle: sites
associatifs,
témoignages,
forums, vidéos, sites
médicaux grand public mais également des liens
commerciaux annonçant «
recherchons 16 personnes très
sérieusement motivées à perdre du poids pour gagner de
l’argent ». Si l’on tape «
perdre du
poids-vomir », on trouve de nombreux conseils techniques du plus
dangereux qui recommande les
vomissements au plus loufoque qui
explique comment
perdre du poids en fonction de son prénom.
Dans une telle
confusion informative, comment s’étonner que les
entourages aient une certaine difficulté à s’y retrouver, d’autant plus
que la pression de la
maladie n’en permet guère une approche sereine et
progressive. Une
information fiable n’est guère plus accessible, sauf à
s’y pencher avec un certain sérieux aux
professionnels non spécialisés
sur
Internet. Seuls quelques rares sites animés par des
spécialistes de
la question ou des organismes de recherche présentent une information
fiable, même si elle n’est pas parfois dénuée d’une certaine partialité
théorique, selon les promoteurs de l’information, chacun parlant pour
sa chapelle. En revanche, les sites
généralistes centrés sur la santé,
ne présentent pas régulièrement une telle fiabilité, dans la mesure où
il peut sembler que les rubriques «
alimentation et
troubles de l’alimentation » ne sont pas toujours tenus par des
spécialistes de la question.
Nous aurons donc pour recommandation, surtout pour les profanes, de ne
pas se fier aveuglément aux dires d’une seule source mais au contraire
d’exercer leur intelligence et leur sens critique pour déterminer la
conduite à tenir.
Conseils pratiques
Pour conclure de manière, nous l’espérons, à éclairer concrètement les
familles et
entourages, quelques pistes de réflexions nous paraissent à
explorer. Ces
conseils ne doivent évidemment pas être pris au pied de
la lettre mais sont à
adapter, voire à expérimenter en fonction de
chaque situation qui, il nous faut le répéter constamment, est
éminemment
singulière et
personnelle, la caractéristique fondamentale
des
troubles du comportement alimentaire étant que derrière une
symptomatologie particulièrement stéréotypée se dissimule une
problématique personnelle toujours
différente qui ne peut être réduite
à une ou des
causes uniques.
Tout d’abord, il est vital de préciser que le
soutien de
tout
l’entourage familial et amical est essentiel pour
guérir, même s’il ne
dispense en aucune fa çon d’une réflexion personnelle le sujet
souffrant. En effet, comme certains l’ont déjà constaté, changer est
une tâche ardue qui nécessite tout l’énergie du sujet en
évolution.
Fournir un environnement
contenant et
soutenant permet d’économiser une
énergie qui doit être consacrée au sujet lui-même et non à se battre
contre les pressions de l’environnement. Dans le cas des sujets
souffrant de
TCA, renoncer au véritable mode de vie que constitue la
maladie demande un
effort considérable qui ne devrait pas être alourdi
par des contingences autres que nécessaires, ceci d’autant plus qu’à
ces
troubles est souvent associée un désir de
perfection surhumain qui
ne se satisfait que de la
réussite absolue.
L’entourage aura donc à
alléger au maximum les
exigences visibles que s’impose le sujet et
surtout n’en pas rajouter.
«
Entourer, ne pas persécuter » est ensuite la principale
devise qui devrait s’appliquer à la situation. Il nous parait
absolument nécessaire de faire remarquer que, depuis près de 140 ans
que les premières descriptions des
troubles alimentaires sont apparues
dans la littérature
médicale, l’échec de toute démarche fondée sur
l’autorité ou une certaine
violence est flagrant. En effet, toute forme
de
contrainte ou de
chantage n’a mené, au mieux, qu’à un déplacement ou
une suspension toujours provisoire des
symptômes qui ne manquent
jamais de revenir sous une forme toujours plus dévastatrice. Cette
violence verbale ou physique, flagrante ou sournoise, qu’elle soit
institutionnelle, familiale ou de l’entourage n’a jamais au grand
jamais
guéri le moindre
trouble alimentaire, au contraire elle l’a
toujours renforcé. Il est certes difficile pour tout un chacun de
résister aux
angoisses et à la rage que procurent ce qui est per çu
comme
résistance du
patient, selon la position de chacun, à notre
amour, nos inquiétudes, notre
compétence professionnelle mais cette
mise en échec de notre toute-puissance ne devrait pas entrainer des
mesures de rétorsions qui ne règle aucunement le problème.
Une
attention de tous les instants qui se révèle vite persécutive,
aussi discrète soit-elle, ne peut se substituer à une
attention portée
avec tact aux difficultés de tout rapport avec la
nourriture. L’enfer
en ce domaine est pavé de bonnes intentions. Il convient dans cette
circonstance de ne pas oublier la contradiction fondamentale de toute
personne atteinte de
TCA qui, à la fois, désire se livrer à ses
symptômes en paix, qu’il s’agisse de
restriction ou de
gavage, et en
même temps n’attend qu’une aide pour l’empêcher d’y succomber une fois
de plus. Dans ces moments aucun conseil stéréotypé ou rigide ne pourra
donner à l’
entourage une direction sans équivoque à tenir car
l’attitude à adopter reste sur le fil du rasoir.
La
communication verbale sur les difficultés rencontrées est
souhaitable mais il doit être précisé sans équivoque avant toute
approche que le sujet souffrant de
TCA ne parle pas le
même langage que
le reste de l’humanité lorsque la question du rapport à la
nourriture
est posée. En effet, en dépit des apparences, un
langage commun est
difficile à trouver. Cette différence de langage est due à plusieurs
facteurs : l’extrême
sensibilité des sujets pour qui toute
allusion à ce difficile rapport à la
nourriture et à leurs
symptômes
est
douloureuse, le passif de
l’incompréhension et des expériences
précédentes qui rend le sujet méfiant d’une nouvelle expérience de
communication ratée, mais aussi l’extrême difficulté du profane à
communiquer avec ces malades sur un sujet qui ne pose aucune
difficulté pour lui et qui lui semble du domaine de l’
évidence, alors
qu’il en va radicalement autrement pour le sujet
souffrant.
Le poids des mots doit alléger la charge des
maux et non l’alourdir. Il
est absolument
vital de préciser que la sémantique et le vocabulaire
des sujets souffrant de
troubles alimentaires se comporte de manière
radicalement différente de ceux du reste de la population,
particulièrement
masculine. Les
femmes, dont le rapport au
corps et à
la
nourriture n’est jamais entièrement serein, peuvent essayer
d’imaginer ou de projeter leur propre sensibilité multipliée par 100.
Car les sujets atteints de
TCA ont une approche particulière des mots
et des expressions touchant de près, ou parfois de loin, le
corps, la
nourriture et la
sexualité. Ceci d’autant plus que dans toutes les
langues certaines expressions sont fortement équivoques. Nous en
donnerons pour simple exemple le verbe «
grossir » qui
est régulièrement confondu par nos sujets avec « devenir
gros ou
grosse », alors qu’une
anorexique pesant 35kg peut se permettre
sans risque de
grossir pendant bien longtemps avant de devenir
grosse.
C’est pourquoi avec certaines
patientes particulièrement sensibles il
nous est arrivé d’employer le néologisme «
dé-maigrir ».
On pourra sans peine imaginer le nombre d’expression qui peuvent être
mal prises ou prises au pied de la lettre sur ce sujet
hypersensible
dans un contexte de vocabulaire courant, peut-être même affectueux.
Loin de notre propos est de recommander un «
psychologiquement
correct » à la manière d’un politiquement correct qui vide sans
tromper personne le langage de sa substance pour y substituer une
langue faite d’
hypocrisie et de faux
respect. Mais savoir que certaines
expressions toutes faites ou mots
maladroits peuvent blesser
durablement des sujets
fragiles et compromettre leur
équilibre précaire
n’est pas sans intérêt.
S’identifier, faire jouer l’
empathie reste, avec tous les risques
d’erreur y afférant, probablement la moins mauvaise
solution dans les
cas où la parole est malaisée. Une pareille attitude prend le risque
de succomber à ses propres
angoisses,
incompréhensions ou de ses
préjugés, mais un peu de réflexion et retour sur soi-même peut
permettre d’éviter la plupart des écueils.
Il est des sujets délicats qu’il est difficile d’aborder mais ne vaut
mieux-t-il pas risquer l’erreur que de se résigner au
silence, d’autant
plus que le
communication verbale n’est pas le seule possible, un
sourire, un
regard affectueux en disent plus long que des paroles
maladroites.