Pour les sites pro-ana ou pro-mia ou Comment tirer profit des ses ennemis
L’opinion généralement exprimée sur la question
des sites, forums, ou blogs
pro anorexiques ou
pro boulimiques présents
sur Internet, que ce soit par le grand public ou les professionnels de
santé, se situe unanimement du coté d’une condamnation sans appel.
Cependant pour consensuelle que soit l’opinion sur ce sujet délicat, le
procès parait bien vite jugé.
Pour préciser d’emblée nos intentions, nous
tenons à préciser que le sous titre constitue une référence au texte de
Plutarque (66-120 après JC) du même nom dont nous recommandons la
lecture mais sur lequel nous reviendrons plus tard. Si ennemi il y a,
il ne s’agit aucunement des victimes de l’
anorexie et de la
boulimie
mais bien plutôt de la
maladie elle-même qui détruit et mutile tant de
vies et de talents.
Est-il possible de censurer les sites?
En effet, à nos yeux la question de
l’
interdiction des sites reste posée, d’autant plus que la structure
même de la toile semble empêcher toute
interdiction efficace. Du fait
de sa
dispersion, de sa
décentralisation voulue au moment de sa
conception, le web est conçu pour résister à toute tentative d’attaque
massive contre les informations qu’il contient.
La
censure, du fait du caractère mouvant de la
toile, de son actualisation permanente, de l’immensité de l’information
contenue est virtuellement impossible comme l’on constaté nombre de
pays reliés à la toile mais pourtant totalitaires. Le recours à des
robots est peu praticable, du fait de la structure même du langage
humain. Enfin, la limitation de l’utilisation des moyens humains, tant
sur le plan numérique face à l’immensité de l’information contenue dans
le web, que financier interdit également une
censure efficace.
Actuellement, la
limitation des contenus
interdits sur le web se fait de manière mixte, à savoir par une
combinaison de moyens automatiques (robots de recherche) et
d’
interventions humaines. Les robots détectent, par une veille
constante, de manière grossière les
contenus prohibés qu’ils signalent
aux intervenants humains qui interviennent plus ou moins vite selon
leurs priorités et leurs disponibilités. Une autre méthode a recours au
signalement par les internautes eux-mêmes d’un contenu illégal, mais
cette option rencontre également les limitations inhérentes aux moyens
humains, surtout dans le point d’étranglement constitué par
l’intervention sur le contenu lui-même.
Dans ce cas de figure, puisque la
prohibition se
montre inapplicable, comme l’ont été avant elle la prohibition de
l’alcool aux Etats-Unis et la
prohibition des drogues dans notre
société, il nous reste à voir ce qui peut être fait contre cette
utilisation des nouvelles technologies mises au service d’une
pathologie invalidante.
Prouver les effets délétères des sites pro-ana.
En premier, la découverte par les professionnels
des médias du prosélytisme de certains malades souffrant de
troubles du
comportement alimentaire (
TCA) ne constitue que la découverte d’un
phénomène déjà ancien mais jusqu’ici limité et donc peu repérable hors
de certaines conditions. Ceux qui ont l’expérience des services
hospitaliers recevant des patients adolescents, comprenant donc une
forte proportion de
TCA, savent bien que ces patients savent
parfaitement s’organiser entre eux pour s’échanger des « trucs» de
manière à
mieux maigrir ou
contrôler leur poids.
Ce qu’Internet a apporté est un moyen de
diffusion des ces recettes plus efficace mais n’est en aucun cas une
nouvelle offre qui toucherait des populations innocentes. Ce moyen de
diffusion est, de plus, bien plus visible par le non-initié que ne
pouvaient l’être les recettes échangées entre patients ou entre
adolescentes dans les cours de récréation.
Cependant, il ne faut pas surestimer l’impact
que peuvent avoir de tels sites
pro ana,
ana mia (pour pro
anorexique)
ou
pro mia (pour pro
boulimique). Il est déjà à noter que pour tout un
chacun, profane en tout cas, il a paru nécessaire d’expliciter ces
termes. Ce qui signifie clairement que seuls ceux ou celles ayant un
intérêt particulier pour les
troubles alimentaires, ou du moins la
question alimentaire auront une chance, ou plutôt la malchance, de
rencontrer ces sites par hasard.
Pour ceux, ou plus probablement celles, qui
auraient fini par aboutir sur de véritables
sites prosélytes, qu’il
s’agisse de sites personnels de blogs ou de forum, l’argument de la
«
séduction des innocents» ne tient guère. Comment imaginer que
des êtres innocents soient pervertis par des sites dont la
séduction
insidieuse n’est pas le moyen de recrutement?
Le fantasme populaire selon lequel la diffusion
d’une propagande encourageant les
troubles alimentaires par le moyen de
l’Internet a significativement augmenté leur incidence n’a aucunement
été prouvé. Par contre, le fait que certains sujets cherchent à se
documenter sur les moyens de
perdre du poids par l’intermédiaire des
forums particulièrement est indéniable. Ceci dit, le fait de chercher à
perdre du poids par des moyens extrêmes en fait des candidats à une
pathologie prête à se déclarer, voire déjà déclarée. Tout au plus
pourrait-on incriminer ces sites pour avoir facilité la diffusion d’une
information qui aurait été plus ou moins facile à trouver sans
l’Internet.
Dans notre pratique quotidienne, pourtant fort
fournie en troubles alimentaires, il nous reste encore à rencontrer
celles qui auraient été amenées aux
TCA par la fréquentation de ces
sites, en toute innocence, sans désir antérieur de
maigrir. On ne peut
malheureusement pas dire de même en ce qui concerne celles qui ont
entamé un régime recommandé dans un magazine féminin, les menant en
droite ligne à l’
anorexie ou à la
boulimie. De même les canons de
beauté actuels calqués sur des
mannequins à la silhouette sans formes
féminines ont beaucoup à répondre des aspirations des jeunes femmes ou
des jeunes filles d’aujourd’hui qui ne peuvent imaginer qu’il s’agit
d’un morphotype plus adapté à la mise en valeur des vêtements qu’à une
représentativité de la plus grande majorité de la
population féminine
mais surtout d’une présentation d’images tronquées, retouchées dont les
formes lisses ignorent le pli tant stigmatisé dans l’esthétique
féminine idéale et cependant inévitable dans l’anatomie réelle.
Les sujets concernés par l’influence délétère de
l’Internet ne sont jusqu’ici que des sujets en
phase morbide ou
prémorbide. Pour démontrer cela, il suffit de dépasser une certaine
réticence et de se confronter à la réalité même de ces sites.
La réalité des sites pro ana en elle-même.
En préambule, la rumeur quant à la disponibilité
infinie des
sites pro ana ou
pro mia sur le Web doit déjà être mise en
doute. En effet, du fait de la lutte qui est faite auprès des
fournisseurs d’accès Internet dans le monde entier pour les
professionnels de santé, les pouvoirs publics, les familles de malades
et parfois les malades eux-mêmes, ces sites sont particulièrement
instables. Nombre d’entre eux sont régulièrement fermés par les
fournisseurs, pour réapparaître chez d’autres fournisseurs quelques
jours plus tard, donnant l’occasion à un jeu de piste virtuel constitué
d’énigmes « pour celles qui savent» et qui pourront retrouver leur
site à la manière d’une société secrète.
La majeure partie des sites qui nous intéressent
se répartissent en deux catégories : les sites d’
apologie des
troubles alimentaires proprement dits et les
forums de discussion.
Les premiers se caractérisent par leur caractère
personnel, soit sous la forme de « page perso», soit sous la forme
d’un
« blog». Ils sont conçus et réalisés par un individu qui
parle en son nom et parfois au nom de toutes les
personnes souffrant de
troubles alimentaires, s’arrogeant bien évidemment un mandat que nul ne
lui a jamais confié. Nous n’avons, à ce jour, pas trouvé de site conçu
par un groupe de malades, ce qui s’en rapprocherait le plus prend la
forme d’un site personnel où sont venus s’adjoindre d’autres personnes
intéressées à échanger sur la question.
La plupart du temps, le site personnel prend la
forme d’un
témoignage sur la
souffrance de son auteur. Qu’elle se
manifeste à l’égard de la maladie elle-même en est la forme la moins
dangereuse. Elle est le plus souvent fort dissuasive car la description
réaliste des difficultés de
vivre avec un trouble alimentaire ne
peuvent guère encourager les postulants. Ces sites ne devraient pas
être censurés dans la mesure où l’expérience des
TCA est dépeinte
sans
complaisance et fournit en outre à leur auteur une bonne occasion
d’exprimer son vécu et de recevoir des
témoignages de soutien et
peut-être même des
conseils pertinents.
Par contre, d’autres fois, la
souffrance
inhérente à la pathologie est déplacée sur une mise en cause d’éléments
externes, permettant d’attribuer tout le
malaise aux autres,
c’est-à-dire à la famille, à l’entourage, et au milieu médical le plus
souvent. La souffrance est reconnue mais attribuée à des causes autres
que la maladie. Ces sites sont les seuls et
véritables sites pro ana ou
pro mia. Ils encouragent à la poursuite de l’
anorexie et de la
boulimie
en tant que mode de vie, d’où les bracelets de différentes
couleurs portés, et reconnus par les initiées . L’apologie y est faite
de la maigreur à l’aide de slogans tels que «
thinner is better»
(plus mince c’est mieux), «
vide = pure», «
quad me
nutrit me destruit» (ce qui ne nourrit me détruit), «
we achieved
what they can’t» (nous avons réussi là où elles ont échoué).
Ces sites sont probablement les seuls sites où
l’
anorexie et les
troubles alimentaires sont ouvertement
glorifiés à
dessein, cependant un certain nombre de facteurs limitent la portée de
leur prosélytisme :
Tout d’abord, il peut parfois être bien
difficile de trouver, ou de retrouver, des
sites pro ana, qui migrent
au rythme des « persécutions» du « complot médical», et qui
maintenant se réfugient derrière des mots de passe interdisant à celui
ou celle qui « n’en est pas» l’accès au saint des saints.
Pour
maigrir heureuses, maigrissons cachées.
Ce qui peut apparaître comme leur apparente
ambivalence ou
contradiction, en réalité une profonde méfiance des
actions légales possibles contre leur contenu, peut donner d’emblée
soit l’impression que ces sites ne sont pas pro ana ou pro mia si l’on
ne lit que leur page d’accueil, soit d’un
malaise ou d’une
duplicité
quant aux contenus qui y sont énoncés.
Nous citerons pour exemple sur un même site la page d’accueil annonçant:
« Si vous recherchez à devenir
anorexique ou
boulimique sur ce site,
quittez le. Vous ne trouverez pas d’information dans ce site, où sur
aucun site référencé dans ce site pour devenir
boulimique ou
anorexique
!».
Alors que quelques fenêtres plus loin le
credo de l’anorexique affiche :
Je crois en le
Contrôle, la seule force
suffisamment puissante pour apporter l’ordre dans le monde de chaos qui
est le mien.Je crois que je suis la personne la plus vile, la plus
dénuée de valeur et la plus inutile qui n’aie jamais existé sur cette
planète et que je ne peux absolument pas mériter l’attention ou le
temps de qui que ce soit.
Je crois que tous ceux qui disent autrement doivent être de parfaits
idiots. S’ils pouvaient me voir comme je suis en réalité, ils me
haïraient comme moi-même je me hais
Je crois que «
il faut »et "
je dois» sont des lois indestructibles qui doivent déterminer ma vie quotidienne
Je crois en la
perfection et que je dois tout faire pour l’atteindre
Je crois que le salut réside dans faire un petit
effort supplémentaire chaque jour
Je crois que les
tables de calories sont issues de Dieu et je dois m’en souvenir à chaque moment
Je crois en la balance comme indicateur de mes réussites et de mes échecs journaliers
Je crois en l’enfer, car parfois je crois y vivre quotidiennement
Je crois en un monde en noir et blanc, en la perte de poids, en la
rémission des péchés, en l’
abnégation du corps et dans une vie de jeûne
éternel
En parcourant le site dont nous tirons ces quelques extraits qui nous
semblent significatifs on ne peut être que frappé par l’impression
d’
ambivalence qui s’échappe de son contenu. En effet, les contenus y
sont présents de manière clivée, les mises en garde et les
descriptions
cliniques tirées des manuels de psychiatrie y voisinant avec le
credo
de l’anorexique cité in extenso plus haut, mais aussi différents
régimes, les
mensurations et l’
IMC de diverses personnalités du monde
de l’image, des trucs pour
manger moins ou pour
mieux contrôler son
poids, des photos, parfois retouchées, de
mannequins squelettiques. A
cet égard, deux hypothèses se présentent, sans qu’elles soient
exclusives mutuellement, celles d’une prévention légaliste contre toute
poursuite judiciaire possible associée à une
apologie de la maladie, ou
bien d’une ambivalence fondamentale reflétant à travers les arguments
contradictoires affichés la lutte entre la maladie, pourtant ici
ouvertement revendiquée et assumée, et une partie plus « saine»
qui ne parvient pas à s’accommoder de la souffrance des symptômes.
De plus, à ceux ou celles qui ont eu assez
d’énergie pour s’engager dans une recherche sur le net parfois
difficile, la sensation peut vite se faire d’avoir accédé à un
monde
d’initiées, le vocabulaire y est spécialisé, voire hermétique ou codé.
Les positions prises sont généralement extrêmes, voire caricaturales
dans leur extrémisme de la
minceur et de leurs louanges quant aux
immenses avantages de la même
minceur. Le manque de nuance inhérent à
celles qui veulent convaincre les mène à ostraciser pêle-mêle le corps
médical dans son entier, la famille, la
société de consommation à la
façon des adolescents qui « aiment à être incompris» pour citer
D.W. WINNICOTT
L’exclusivité de tels « clubs» n’en fait
pas l’accès facile à tout un chacun, n’en fait pas parti qui veut. A
certaines postulantes demandant sur un forum comment devenir anorexique
il fut répondu sans ménagement et sans ambiguïté : « on ne
devient pas anorexique on l’est !», renvoyant de manière brutale
et élitiste les postulantes (en anglais « wannabee») à leur
confusion innocente entre minceur et cachexie anorectique.
La discrimination entre les sites
authentiquement
Pro-ana et ceux de libre expression des
patients
souffrant de TCA n’est guère aisée à faire. Seule une lecture attentive
par un spécialiste des
TCA, ou peut-être même une patiente guérie ou en
voie de guérison, malgré toute sa subjectivité, pourrait être une
manière d’exercer un filtrage entre les
Pro-ana déclarés, ceux qui
agissent de façon plus voilée et les sites qui relèvent d’une
expression d’une
souffrance personnelle qui ne serait pas incitation.
L’exemple des sites anglo-saxons en est
particulièrement flagrant. L’extrême légalisme, conséquence d’une
crainte de toute répercussion potentiellement judiciaire du contenu
d’un site, provoque une contradiction, voire une
hypocrisie intrinsèque
dans de nombreux sites. En effet, chaque site met en avant de
nombreuses
mises en garde contre les TCA dans sa page d’accueil.
Malheureusement, le contenu se révèle généralement profondément en
contradiction avec ces
mises en garde vertueuses. Il n’est pas rare de
trouver de trouver sur un même site mise en garde légale,
conseils pour
maigrir associés à une franche apologie de la
thinspiration. Dans
d’autres sites, la limite est plus malaisée à discerner. Si l’on exclut
les sites les plus contradictoires, hypocrites ou franchement sournois
dont le contenu est en contradiction évidente avec les intentions
annoncées, il reste cependant un bon nombre de sites dont la bonne foi
n’est pas contestable mais dont le point de vue peut présenter diverses
déformations ou
informations fallacieuses potentiellement dangereuses.
Le vécu de chacun, quant aux
soins par exemple,
est fortement subjectif mais peut parfois être pris comme argent
comptant, que ce soit dans un sens positif ou négatif, par des lecteurs
ou lectrices, potentiels malades, il faut le rappeler. De ce fait, les
effets provoqués par telle ou telle prise de position, sur la
méthode
de soins par exemple, ne sont pas sans conséquences sur des sujets en
état de fragilité. Telle patiente décidera ou ne décidera de ne pas
entreprendre de soins selon le vécu relaté souvent sans distance sur le
site.
Autant ces conséquences peuvent être positives,
autant elles peuvent également être négatives selon que les conseils
iront dans un sens ou un autre, sans pour autant d’ailleurs que
l’expérience singulière ne valide une démarche plutôt qu’une autre.
La question des forums de discussion est, elle
aussi, cruciale et bien moins considérée ou dénoncée que les
sites
Pro-ana. Tous les sites généralistes consacrés à la santé et au
bien-être, ou presque, possèdent une rubrique nutrition ou régime
parfois «
Anorexie-Boulimie». Dans ces rubriques s’échangent
conseils, opinions souvent militantes, extrémistes, éventuellement
apologétiques de l’anorexie ou des
TCA. Ces conseils concernent les
méthodes pour
maigrir de manière drastique, ceux pour peser plus sur la
balance sans pour autant prendre de poids, etc. Les propos les plus
virulents y sont tenus, les conseils plus inadaptés, voire les plus
délirants, y sont prodigués et les comportements les plus
inadaptés ou
les plus
dangereux y sont encouragés.
Aucune
supervision ou
censure ne semble exercée
par les responsables de site ou leurs webmasters si l’on considère la
persistance dans le temps des propos les plus aberrants, et peut-être
n’est-il guère possible de la faire. En tout cas, la question est posée
et mérite que les diffuseurs de messages potentiellement léthaux auprès
de populations
fragiles se sentent interpellés. Nous aurions quelques
suggestions à faire à ce propos.
Maintenant que la question de la dangerosité de
ces sites est posée, à défaut de pouvoir soit les faire efficacement
interdire ou de limiter leur action, il existe peut-être une
possibilité de les utiliser dans un sens moins néfaste.
Profiter de ses ennemis.
L’idée nous en est venue à la lecture de
«
Comment tirer profit de ses ennemis» du grec Plutarque (2ème
siècle après JC) également auteur du classique « La vie des hommes
célèbres». Dans ce petit ouvrage récemment réédité, dont nous avons
parodié le nom à titre d’hommage, Plutarque explique en bref que les
critiques ou les attaques qui nous sont faites ne visent certes pas
notre bien mais qu’elles peuvent nous être utiles. En effet, bien
qu’elles soient faites pour nuire, ces attaques contiennent souvent des
éléments de vérité ou de réalité. Ces éléments sont certes
déformés,
délibérément
gauchis ou
caricaturés mais il est possible de nous en
servir pour nous réformer.
A notre fréquentation, d’abord curieuse des
sites Pro-ana et des forums consacrés aux troubles alimentaires il nous
a semblé que ces sites et ces forums pouvaient nous servir en deux
points.
De manière clinique dans un but d’apprentissage
Tout d’abord la liberté d’expression, la grande
sincérité et une grande
authenticité y règnent. Nous ne parlons
évidemment pas dans ce cas d’une expression de La Vérité mais bien de
la
vérité subjective, aussi pathologique soit-elle de ces patients.
Cette sincérité est fort
rarement obtenue même dans les relations
thérapeutiques les plus confiantes et abouties. Ceci pour deux raisons
majeures, pour pouvoir parler en toute véracité il faut qu’une occasion
se présente, le plus souvent sous la forme d’une écoute jugée
compétente par le locuteur. Parler dans le vide n’amène rien alors que
la sensation, voire l’illusion d’être compris permet de dégager une
parole qui vient
du plus profond de l’être. Ensuite, outre la
compétence de celui qui écoute, se pose la question de sa fiabilité, du
respect des choix du sujet parlant sans chercher à le mener dans un
chemin qui ne serait pas le sien, chemin de la seule prise de poids le
plus souvent.
Cependant, l’acquisition d’une telle
confiance
dans la
relation thérapeutique ne va pas sans effets sur le discours
des patients
soufrant de troubles alimentaires. En effet, le travail
qui mène à une relation stable et confiante passe par une élaboration
qui peut être parfois fort discrète, voire
inconsciente, de
représentations et de fantasmes primitifs concernant particulièrement
l’
alimentation et le
corps. De ce fait, n’apparaissent rapidement au
décours du travail thérapeutique que les fantasmes les plus avouables à
un tiers « qui n’en est pas», de peur de paraïtre ridicule ou
idiot.
Nous en donnerons pour exemple une idée fort
répandue chez les
patientes anorexiques qui craignent régulièrement de
manger des aliments qui les feront
grossir comme par magie de
plus que
du poids ingéré. Sur ce sujet très précis, portant exclusivement sur la
question de la nourriture ingérée, nos patients sont incapables de
concevoir la
conservation des poids et des quantités et ne semblent pas
avoir atteint un stade appelé «
opérations concrètes» par Jean
PIAGET, alors que ce stade du développement intellectuel, apparaït vers
l’age de 7 ans. Interrogées plus en avant, elles peuvent parfois
reconnaître que cela leurs semble aberrant mais qu’elles ne peuvent
s’empêcher de croire à cette possibilité de prendre du
poids
supplémentaire alors qu’elles savent pertinemment qu’il n’en est rien,
ce qu’elles ont souvent plus que prouvé en atteignant des niveaux
d’étude où de telles notions sont absolument nécessaires.
Ces
fantasmes extrêmement infantiles
n’apparaissent que dans des conditions assez exceptionnelles dans des
thérapies au long cours, dans le cadre d’une double confiance à la fois
dans le
thérapeute mais aussi confiance du patient en lui-même dans la
mesure où il peut avouer, le terme n’est pas trop fort, des failles
inavouables. Cependant, pour les quelques fantasmes qui tardent à
apparaître dans le cadre privilégié de la consultation, combien nous
échappent-ils ?
Alors que dans les sites de discussion, ceux-ci
s’expriment de manière transparente dans la relation de confiance qui
s’installe de pair à pair. Les forums de discussion offrent au
clinicien un
matériel riche à la fois en termes de contenu mais
également en termes d’histoire et d’
évolution de la maladie. Quand la
consultation de malades anciens est pléthorique, rares sont ceux ou
celles qui n’ont commencé à se
restreindre ou à déraper dans des crises
que depuis quelques semaines, alors que la fraîche apparition de ces
symptômes est souvent décrite par des sujets inquiets dans les forums
Internet consacrés à la santé ou la
nutrition. D’où, à mon sens, un
terrain clinique à ce jour assez délaissé mais qui reste à explorer
pour une exploration plus avancée, voire pré médicalisée des
troubles
alimentaires débutants.
De manière à mieux soigner
En outre, point plus délicat, ces sites et ces
forums peuvent nous, j’entends dans ce nous les
soignants, permettre de
repérer nos
défauts et nos
complaisances thérapeutiques. Ainsi, qui n’a
pas entendu du mal ou des critiques de tel ou tel confrère, sans penser
que celui qui les rapportait n’exagérait pas ou ne manifestait pas une
résistance ? Les forums et les sites débordent de témoignages,
certes parfois douteux ou tendancieux, sur tel ou tel soignant qui n’a
pas su complaire à la plaignante.
Le monde médical et para médical y est décrit
comme
incompétent,
brutal,
trop sûr de lui et de son savoir, incapable
de se départir de ses théories et de ses idées préconçues, trop
impatient pour écouter la souffrance des patients, trop méfiant pour
ajouter foi à leurs dires, voire éventuellement trop préoccupé de gains
ou de carrière pour compatir à la
souffrance exprimée.
Tout d’abord, la première plainte que font les
patients souffrant de
troubles alimentaires est le
manque de
connaissances précises du monde médical quant à leur
pathologie. En
effet, nombreux sont les témoignages qui décrivent des soignants
débordés par une
pathologie que leurs patients connaissent
mieux
qu’eux. La situation est ici paradoxale de
patients surinformés, ceci
de manière traditionnelle mais surtout depuis la diffusion infinie de
la bulle Internet, qui en savent effectivement plus que des
praticiens
non formés à cette pratique spécifique, ou qui le croient. La grande
majorité des patients en a plus lu sur son symptôme que le soignant non
spécialisé mais parfois même que celui qui l’est, particulièrement dans
le domaine de l’actualité, généraliste ou spécialisée.
Peut-être, faudrait-il entendre cette remarque
récurrente et concevoir que le
traitement des troubles alimentaires ne
se situe que dans une approche spécialisée par des praticiens possédant
assez d’expérience pour en savoir plus que leur patient, certes
surinformé. Ceci qu’il s’agisse de prise en charge somatique ou
psychothérapique.
De plus, bien que la sensibilité, voire
l’extrême
vulnérabilité des patients souffrant de
TCA soient
régulièrement décrites dans les manuels, nombreux sont les témoignages
de
malades qui ne se sont pas senties
écoutées dans un cadre laissant à
leur souffrance la possibilité de s’exprimer. Ici, il s’agit moins
d’incompétence que de conditions de temps, et de respect de la parole
de l’autre. En effet, l’approche et particulièrement les premiers
contacts avec ces malades nécessitent une attitude d’écoute associée à
une neutralité particulièrement
bienveillante, l’accent étant à mettre
beaucoup plus sur l’aspect
bienveillance que sur une
neutralité parfois
ressentie par ces patients, souvent échaudés par de multiples
consultations infructueuses, comme un désintérêt blasé. Ceci s’exprime
par la demande récurrente dans les forums Internet d’un
thérapeute
compétent mais aussi « sympa», ce qu’il faut probablement par une
demande de soutien et de
réassurance, dans la mesure où le
transfert
est un enjeu majeur dans la continuation la prise en charge de ces
patients.
En écoutant, si on peut le dire ainsi, ce qui se
dit dans les forums Internet où interviennent régulièrement des
patients souffrant de
troubles alimentaires, il est possible de dégager
leur demande quant au profil du
soignant idéal.
Celle ou celui-ci est recherché dans une
opposition absolue à une ligne de
contrainte telle qu’a pu l’exercer un
entourage débordé par son angoisse. Ni la
contrainte, ni les
menaces ou
du moins ce qui est ressenti comme telles n’auront d’effet sur
ces patients, du moins d’effet positif. De même, une
neutralité
analytique classique, ou une
consultation médicale par trop précipitée
seront généralement ressenties comme une
indifférence absolue à leur
mal.
On voit dès lors que la ligne à suivre en
présence de ces patients est une voie bien étroite et tortueuse qui
n’est pas sans rappeler l’art de la stratégie telle que l’enseignent
les classiques. Il s’agit dès lors d’alterner selon le
transfert actuel
du patient entre une position de contenant qui ne doit jamais être
étouffante et une position de
distanciation qui ne doit pas passer pour
de l’indifférence. A ce prix, il est à la fois possible de se situer
comme allié du patient sans s’aligner pour autant sur les symptômes les
plus extrêmes. En bref,
soutenir l’anorexique et la
boulimique mais ni
l’
anorexie ni la
boulimie.
La question des magazines féminins et culte de la maigreur.
Enfin, pour revenir à la question de la
nocivité
des sites web, la question qui se pose à leur encontre ferait beaucoup
mieux de se poser quant aux
magazines dits féminins. Certes l’
apologie
de l’anorexie ne se retrouve pas dans leurs pages, on pourrait même
dire que depuis quelques années, les journaux féminins ont
beaucoup
fait pour informer les populations à risque des
dangers des troubles
alimentaires.
Cependant, derrière un masque de respectabilité
et d’institutionnalisation, l’
exhibition et l’
idéalisation depuis
plusieurs décennies de modèles féminins en
sous-poids, voire
franchement
cachectiques, n’a pas été sans conséquences sur les
canons
de la beauté telle que l’envisagent les femmes.
De plus, la rente de situation des
régimes
centrés sur la
perte de poids à court terme à laquelle participe
également la partie du corps médical qui invente toujours de nouveaux
régimes miracles n’est pas pour rien dans la quête effrénée qui mène
certaines aux
TCA. Il est difficile de trouver un magazine féminins qui
ne fasse pas toute ou partie de sa première de couverture sur comment
perdre deux, trois, cinq kilos avant, la plage, les vacances, le
mariage, après Noël, l’accouchement, etc.
Les sites Internet qu’ils soient officiellement
Pro ana ou pas ont un mérite que n’ont pas les magazines
institutionnalisés : leur nouveauté et la suspicion qui s’y attache. La
nouveauté du procédé le rend suspect, de même que l’absence manifeste
de contrôle externe sur les contenus Internet, alors que remettre en
question ce qui a eu l’honneur d’être édité et imprimé reste encore
difficile.
Pour un droit de réponse ou une notice de précaution ajoutée à ces sites ?
Enfin, en guise de conclusion, nous nous
permettrons de suggérer trois pistes pour limiter, si cela peut
s’avérer nécessaire, les possibles nuisances des
sites Pro ana qui, il
faut bien le rappeler, ne menacent probablement que ceux ou celles qui
étaient déjà menacées avec ou sans Internet.
Tout d’abord, une voie
limitative du contenu
peut s’offrir avec les logiciels de
contrôle parental, ce qui paraît
possible en ce qui concerne la pornographie peut éventuellement être
appliqué pour ce qui pourrait être considéré comme un contenu tout
aussi
violent et
déstabilisant pour des âmes sensibles et
influençables. Ceci dit, le contournement d’un tel est certainement
autant possible que pour
les sites pornographiques auxquels les
adolescents ne se gênent pas d’accéder.
En outre, il paraitrait peut être possible
d’envisager la mise en place par les fournisseurs d’accès, sans
entraver pour autant la libre expression de chacun, d’insérer au moyen
de « pop-up», c’est-à-dire de fenêtres apparaissant
automatiquement sur l’écran des mises en garde basée sur le modèle des
avertissements qui ornent les paquets de cigarette prévenant de manière
claire et concise des
dangers des troubles alimentaires.
Enfin, la meilleure mais probablement la plus
difficile à mettre en place des mesures serait de pouvoir exercer un
droit de réponse ou de rectification des
professionnels de santé ou des
associations de lutte contre les troubles alimentaires. Mais cette
mesure nécessiterait un engagement considérable et une
vigilance
constante de la part d’acteurs déjà bien occupés à traiter les
troubles, ceci d’autant plus que les actions de
prévention primaires
comme celle envisagée ici restent difficiles à évaluer quant à leur
efficacité réelle.
Pour conclure, la question qui se pose à tous
qu’ils soient professionnels de santé, parents ou éducateurs, malades
avérés d’un trouble alimentaire ou sujet dans une phase de fragilité,
n’est guère de la
dangerosité spécifique des
sites Pro ana ou
Pro mia.
Nous espérons en effet avoir convaincu le lecteur si ce n’est de
l’innocuité de tels sites du moins de leur
peu de dangerosité pour les
« innocents» terme par lequel nous entendons les sujets non
concernés par les troubles alimentaires avant un premier contact avec
les sites Pro ana.
La question se constitue certainement plus
autour de la réponse à apporter qu’elle soit directe, sous forme de
limitation de la nocivité éventuelle de ces sites d’une manière ou
d’une autre, ou indirecte, sous forme d’une démarche qui nous permette
de
mieux appréhender la maladie dans une phase de début peu accessible
à l’étude jusqu’ici et d’en tirer des connaissances qui nous servirons
à
mieux lutter contre les troubles alimentaires.
- PLUTARQUE « Comment tirer profit des ses ennemis»,
Rivages poches, Petite bibliothèque, Editions Payot & Rivages,
Paris, 1993
- Conçu dans les années 60 par le ministère de la
défense américain, le web est issu d’un système de communication
militaire décentralisé, utilisant le réseau téléphonique civil, dont le
but était de ne pas offrir à une attaque nucléaire massive d’objectif
clairement défini. La dispersion, la redondance permettait de continuer
à acheminer des informations stratégiques malgré la perte d’une partie
des composants du système par l’utilisation de routes alternatives
telles que le réseau téléphonique, impossible à détruire complètement
en quelques frappes.
- Au moment où nous écrivons, il ne
semble pas exister de robot qui puisse saisir l’immense subtilité du
langage humain. Le phénomène que le linguiste Noam CHOMSKY nomme la
« grammaire générative» l’en empêche. En effet, alors que tout
être humain peut comprendre, ou concevoir, un énoncé qu’il n’aurait
jamais entendu, la machine en est incapable. Donc elle ne peut agir
subtilement sur un énoncé qu’elle ne comprend pas complètement d’où un
certain nombre d’erreurs grossières que l’on constate régulièrement par
exemple dans les moteurs de recherche.
- De plus, pour qui aurait
sciemment l’intention de tromper ou de dissimuler un message le recours
aux tropes (métaphore et métonymie) rend impraticable à toute machine
la compréhension d’un tel message. Aucune d’entre elles ne saurait
trouver à l’expression « mort aux vaches» la moindre intention
subversive.
- A noter que depuis quelques temps les
« confréries» d’anorexiques se rassemblant sur la toile,
particulièrement utilisent des ruses issues des sociétés secrètes, tant
à la mode depuis le succès « Da Vinci code». Empruntant pour
écarter les non initiées des ruses dignes des Illuminati, elles forgent
quasiment par là la rumeur d’un complot destiné à faire maigrir les
adolescentes innocentes, reflet narcissique et new age du
« protocole des sages de Sion» ou du complot communiste mondial
des générations précédentes.
- A noter que ces sites regroupant
apparemment plusieurs intervenants paraissent le plus souvent
instables, leurs adresses changent régulièrement, des mots de passe en
interdisent l’accès, voire ils disparaissent simplement. Outre le fait
que certains passent dans la clandestinité pour échapper aux profanes,
d’autres disparaissent probablement simplement du fait des tensions
inhérentes au maintien de tels groupes. En effet, la question de la
rivalité dans l’expression des symptômes génère souvent une agressivité
au sein des groupes de malades, particulièrement chez les patientes
souffrant d’anorexie mentale.
- - couleur rouge (avec
éventuellement une libellule) pour les anorexiques, pourpre pour les
boulimiques, vert pour celles qui sont entrain de jeûner. Dans le texte
original : This site is a pro-ana pro-mia website plus
forum and anorexic / bulimic chat room.¨It is for support of those who
already have anorexia / bulimia and/or those that accept people that
are anorexic or bulimic.¨Some images, links text and thinspiration may
be considered triggering in nature.As well, if you are looking to get
anorexia / bulimia by being here then please leave. You will not find
information contained within this web site, forum, or any site linked
to / from this website on how to become anorexic or bulimic.¨If you do
not accept the condition of anorexia / bulimia / other eating disorders
plus the pro-ana pro-mia movement then you must also leave this proana
website immediately.¨Also you will not use this pro-ana pro-mia web
site and or forum against anyone in any conceivable manner.
- I believe in Control, the only force mighty enough to bring order to the chaos that is my world.
- I
believe that I am the most vile, worthless and useless person ever to
have existed on this planet, and that I am totally unworthy of anyone’s
time and attention.
- ¨I believe that other people who tell me
differently must be idiots. If they could see how I really am, then
they would hate me almost as much as I do.
- I believe in oughts, musts and shoulds as unbreakable laws to determine my daily behavior.
- I believe in perfection and strive to attain it.
- ¨I believe in salvation through trying just a bit harder than I did yesterday.
- ¨I believe in calorie counters as the inspired word of god, and memorize them accordingly.
- ¨I believe in bathroom scales as an indicator of my daily successes and failures
- ¨I believe in hell, because I sometimes think that I’m living in it.
- I
believe in a wholly black and white world, the losing of weight,
recrimination for sins, the abnegation of the body and a life ever
fasting.
- In J. PIAGET & B. INHELDER « Le développement des quantités chez l’enfant», Neufchâtel, Delachaux et Niestlè, 1941
- « Je
fais en sorte que l’ennemi prenne mes points forts pour mes point
faibles, mes points faibles pour mes points forts, tandis que je
transforme en points faibles ses points forts et que je découvre ses
failles… Je dissimule mes traces de façon à les rendre
indécelables ; j’observe le silence afin que nul ne puisse
m’entendre» in SUN TZU « L’art de la guerre « p 132
Flammarion, Paris 1972.