L’ANOREXIE MENTALE
HISTOIRE NATURELLE & DESCRIPTION
Le début de l’
anorexie mentale est souvent
consécutif à de
nouvelles situations dans la vie
auxquelles le sujet se sent
inadapté ou incapable
d’assumer. De tels changements peuvent être
biologiques,
comme le
début de la puberté,
psychologiques,
comme les
étapes de l’adolescence, ou
sociaux, comme entrer
au
collège ou au lycée. Le
commencement de
l’anorexie
mentale peut aussi suivre l’arrêt d’une
relation
sentimentalement investie ou la mort d’un parent ou
d’un
ami.
L’
anorexie commence typiquement chez des
sujets à
poids
normal ou de légèrement à
modérément
en
surpoids qui décident initialement de faire "
un petit
régime". Le
régime est initialement
approuvé, ou
même activement encouragé, par la famille et les
amis
aussi bien que dans de nombreux cas, par les entraîneurs
sportifs
ou les professeurs de danse. La patiente est ainsi
félicitée pour la
perte de poids initiale et
prend du
plaisir à sa réussite. Une fois que le but
original de
réduction de poids est atteint, un nouveau but est
immédiatement fixé.
Ostensiblement, ceci est pour
«
s’assurer » d’annuler de futurs gains de
poids, mais
la
perte de poids comme
recherche de la minceur devient rapidement un
but en soi et le
contrôle est perdu. Les patientes sont
rapidement incapables de se décider à
reprendre
du poids.
Les patientes attirent généralement
l’attention
médicale non pas à cause de la
perte de poids
mais
à cause de plaintes telles
qu’
aménorrhée,
oedème,
constipation ou
douleurs abdominales. Elles peuvent
se
plaindre d’
allergies spécifiques à la
nourriture
voire demander une aide pour renforcer le régime telle que
pilules amaigrissantes ou
diurétiques. Les patientes peuvent
aussi arriver aux urgences dans la mesure où les
complications
du régime ou des
vomissements, telles que la
déshydratation et les déséquilibres
des fluides et
des électrolytes sont graves.
Très souvent, l’entourage met extrêmement
longtemps à constater l’
amaigrissement.
La patiente peut être amenée par les parents qui
s’inquiètent quand la
perte de poids est
extrême ou
qui sont alarmés par des habitudes alimentaires bizarres et
par
le changement de personnalité.
On distingue deux variétés principales d’anorexie
mentale:
-
L’anorexie mentale restrictive où la privation de nourriture
et
l’exercice physique sont les moyens principaux de maintenir
l’amaigrissement.
-
L’anorexie combinée avec des épisodes de boulimie et vomissements où la
régulation
de l’alimentation se fait principalement à l’aide de
vomissements, de prise de médicaments laxatifs ou
diurétiques.
L’
anorexie mentale touche environ
1 à
1,5% de la population,
0,75% dans sa forme grave. La
prévalence du
sexe
féminin
est massive:
10 filles pour 1 garçon d’où sa
dénomination originelle d’ "
anorexie mentale essentielle de la jeune
fille".
La trajectoire de l’
anorexie mentale est
variable. Il peut y
avoir un
épisode unique avec rémission
complète ou
de
nombreux épisodes s’étendant sur
plusieurs
années. Un épisode unique peut aussi
être
chronique
et sans
rémission.
Une
guérison
complète ou
partielle peut survenir spontanément dans certains
cas rares ou
généralement à la suite d’un
traitement adapté. Les
épisodes uniques
mais aussi les trajectoires fluctuantes peuvent de la même
façon aboutir à la
mort.
Selon un rapport du
Dr Nathalie GODART de l’institut mutualiste
Montsouris (IMM), commandé par la direction
générale de la Santé (DGS):
"
L’anorexie mentale se caractérise par la gravité
de son
pronostic, qui la classe au premier rang des pathologies psychiatriques
mettant en jeu le processus vital".
Le risque de
mortalité existe, même si depuis
quelques
années le taux tend à diminuer. Par contre, dans
l’état actuel des études scientifiques, il reste
difficile de déterminer le risque statistique d’une
issue
fatale, celui-ci variant selon les études de
4 à
10%.
La
mortalité augmente avec la
durée de la
maladie:
après 10 ans le taux de
mortalité serait de
7%,
après 20 ans il est de
20%. Cette mortalité est
imputable
à la dénutrition mais également aux
suicides (
24%
des décès), il est à noter que 14% des
décès ont des causes inconnues.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
L’
anorexie mentale doit être distinguée
des pertes
de poids dues à des
maladies somatiques telles que
néoplasme,
tuberculose,
affection hypothalamique et surtout
des
endocrinopathies. Celles-ci peuvent être également
diagnostiquées sur la base d’une enquête
approfondie, examens somatiques et analyses de laboratoire. Les
patients souffrant de ces maladies physiques ne présentent
pas
de
crainte de la corpulence, de recherche de la
maigreur et
l’hyperactivité qui caractérise
l’
anorexie
mentale.
Des
pertes de poids se produisent fréquemment chez des
patients
souffrant de troubles
dépressifs ou de certains troubles
schizophréniques caractérisés par des
habitudes
alimentaires bizarres provoquées par des hallucinations
portant
sur la nourriture.
Les patients atteints d’autres troubles
n’ont pas non plus cette préoccupation
à propos des
calories ingérées, l’
obsession des
formes du corps
et de sa taille et l’
hyperactivité. Les patients
psychosomatiques peuvent parfois subir des
variations de poids, des
vomissements et des habitudes alimentaires bizarres mais la
perte de
poids n’est pas habituellement grave et
l’
aménorrhée durant plus de trois mois
est
inhabituelle.
Pour établir le diagnostic d’anorexie mentale, les
patients doivent satisfaire aux critères diagnostiques du
DSM IV.
DSM IV : CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
POUR L’ANOREXIE MENTALE
a. refus de maintenir le poids corporel au-dessus de la normale
minimale (moins de 85 % du poids normal pour l’âge
et la taille)
b. peur intense de prendre du poids ou de devenir obèse,
ceci malgré une insuffisance pondérale
c. perturbation dans la manière dont le poids corporel, la
forme ou la silhouette est perçue
d. influence exagérée du poids corporel ou de la
silhouette sur l’estimation de soi
e. aménorrhée (absence de règles)
pendant au moins
trois cycles consécutifs chez les femmes
menstruées
(aménorrhée secondaire).
DESCRIPTION CLINIQUE DE L’ANOREXIE MENTALE
L’
anorexie débute généralement par un
régime modéré. Dans le premier temps,
l’entourage ne se sent pas inquiet de ce régime qui
valorise
plutôt la malade
anorexique. La période initiale du régime
est modérée mais petit à petit la
détermination de
maigrir devient systématique, plus résolue,
voire acharnée.
Les quantités sont
réduites dans un premier
temps, puis certains aliments sont écartés du repas. Chaque
jour de nouveaux aliments sont bannis de l’alimentation, en
commençant par les aliments"
gras", les aliments
sucrés, les
féculents, puis les
viandes, d’abord les
viandes rouges,
puis souvent toutes les viandes, le
fromage, etc.
Ceci pour en venir
à une
prise de nourriture minimale d’aliments
peu
caloriques, en quantité infime, de préférence
toujours les mêmes, dans des repas extrêmement
ritualisés, prenant un temps infini, sans variation aucune.
Parallèlement, l’adolescente est
hyperactive, à
la fois
intellectuellement et
physiquement, ce qui contribue, par l’impression
de vitalité qu’elle donne, à masquer son
amaigrissement qu’elle dissimule le plus souvent. Qu’elles soient physiques ou
intellectuelles, ces performances se déroulent sur un mode
de
compétition, apparemment contre les autres mais en
réalité contre soi-même, contre les limitations de
son corps et de son esprit.
L’
anorexie se met en place dans un délai qui couvre
généralement de 3 à 6 mois. Dans les
premiers temps, les troubles ne sont pas encore fixés et la
guérison peut parfois survenir en
quelques consultations si
les symptômes sont pris à temps par un
praticien
spécialisé dans les troubles alimentaires.
Une
fois que le sujet est installé dans le
comportement et le
mode de
pensée anorexique, la guérison prend
généralement
beaucoup plus longtemps car, outre
le travail nécessaire pour trouver les causes et les origines
des symptômes, il est absolument nécessaire de
modifier en détail le
comportement et l’état d’esprit
anorexique, ce qui prend beaucoup de temps.
Une fois la c
onduite anorectique
fixée, la durée de suivi pour arriver
à la guérison évoluera en proportion de la
durée du
trouble. Il est à noter que dans le cas d’une
anorexie de
longue durée, le principal obstacle à la
guérison
est constitué par la
lassitude qui s’installe dans une prise
en
charge qui dure, n’évoluant pas assez vite au goût
du
sujet et de son entourage.
Beaucoup de prises
en charges sont abandonnées pour cette
raison
alors qu’elles auraient pu mener au succès avec un peu plus
d’acharnement.
Au fur et à mesure que la maladie s’installe, la conduite
devient de plus en plus
systématique, elle perd son
caractère modéré et montre clairement
une intention déclarée de
maigrir. La
peur de grossir
devient majeure et la patiente peut utiliser tous les moyens pour essayer de se
faire maigrir:
. Restriction alimentaire
. Exercice physique
. Vomissements provoqués ou spontanés
. Lavements
. Laxatifs
. Diurétiques
Il est à noter que l’
amaigrissement n’
inquiète
absolument
pas la patiente et qu’il est au contraire
recherché et
valorisé. La
faim est ressentie au début de la
maladie
mais disparaît progressivement, réapparaissant
parfois
ce qui peut provoquer des
conduites boulimiques.
La
peur de grossir est constante et tout est fait pour combattre la
prise de poids, y compris des stratégies visant à
vider
le corps de tout aliment (vomissements, diurétiques,
laxatifs,
lavements).
EVOLUTION CLINIQUE DE L'ANOREXIE MENTALE
Il existe, pour simplifier, trois différentes formes
d’évolution:
1. une forme mineure, qui se déroule sur quelques semaines
ou
mois, et qui se résout généralement
suite à
quelques consultations ou spontanément, sans laisser de
séquelles.
2. la forme grave dite cachectisante qui se déroule sur
plusieurs années, voire plusieurs dizaines
d’années.
Depuis quelques années la mort en est moins souvent l’issue
obligée, mais cette forme reste profondément
invalidante,
à la fois sur le plan physique, intellectuel, social,
affectif
et professionnel. Le danger somatique reste persistant et parfois
mortel, même après des années
d’équilibre
précaire, particulièrement dans le cas d’une
maladie
intercurrente qui perturberait le fragile équilibre.
3. une évolution intermédiaire est
également
possible, alternant les reprises de poids, soit par épisodes
boulimiques, soit par réalimentation médicale.
Après plusieurs rechutes, une stabilisation relative peut
s’installer dans un contexte d’état anorexique durable mais
modéré.
Deux évolutions particulières sont
particulièrement remarquables:
-
L’anorexie à poids normal (décrite par AH CRISP).
Dans le
cas de certaines anorexies mal soignées, les
symptômes
somatiques, surtout l’amaigrissement, disparaissent, la patiente
retrouve un poids normal et se trouve hors de danger. Mais les
angoisses portant sur le poids n’ont pas disparu. Le plus souvent, le
sujet est à poids normal mais s’angoisse dès
qu’il
s’éloigne de son poids de référence,
qu’il
grossisse ou qu’il maigrisse. Le mode de vie anorectique, avec tout ce
qu’il a de restrictif est conservé.
-
Passage vers la boulimie, dans certains cas, le passage vers
une
symptomatologie boulimique est effectué par 5% des malades.
Nous
avons pu ainsi voir des patientes qui triplaient quasiment leur poids
entre alternance anorexique et boulimique, passant d’une trentaine de
kg à près de 90 kg.
L’espérance d’une
résolution spontanée
ne doit
cependant absolument pas
retarder ou
empêcher la
consultation, de
préférence auprès d’un
spécialiste des
troubles alimentaires.
CONDUITES ANNEXES
Certaines conduites annexes méritent d’être
notées,
bien qu’elles ne soient pas à proprement parler
spécifiques de l’anorexie mentale, elles y sont
fréquemment associées:
L’
hyperactivité: elle est physique, dans un but de
perdre du
poids ou de ne pas en prendre et montre un désir de garder
le
contrôle sur le corps, principalement dans des
activités sportives ou d’endurance. Mais elle peut aussi être
intellectuelle et scolaire dans un but de performance, sans
réel plaisir à l’apprentissage, mais surtout sans objectif autre
que la réussite à court terme, dans un but de
compétition, avec les autres mais surtout dans un
désir de se
surpasser soi-même.
Un rapport conflictuel à la
sexualité: quelle
qu’en soit
l’expression le rapport à la sexualité est
toujours tourmenté, jamais serein.
Alors que traditionnellement, les
sujets anorexiques présentaient un
refus franc de toute
activité sexuelle, depuis quelques années le
tableau n’est plus aussi clair. Il apparaît chez certains patients
une activité sexuelle régulière, cependant
les
difficultés de cette sexualité
dépassent largement celles de l’adolescent ou du jeune adulte pour qui l’accès
à la sexualité n’est jamais évident.
Une
angoisse disproportionnée est présente et parfois les
relations sexuelles se manifestent plus comme un comportement d’opposition aux
valeurs des adultes ou une conformité forcée
à des valeurs adolescentes que comme une véritable recherche du
plaisir ou que l’aboutissement d'une relation affective.
LES SYMPTÔMES SOMATIQUES DE L'ANOREXIE
L’
amaigrissement est
massif et spectaculaire, de 20 à 30%,
il peut aller jusqu’à 50% du poids initial.
L’
aménorrhée (
absence des règles).
Curieusement,
elle n’est pas la conséquence directe de l’amaigrissement
puisque souvent elle le précède. Les
règles
reviennent généralement avec la reprise du poids
mais
dans certains cas, cela n’est pas automatique et
l’aménorrhée peut persister
longtemps
après le
retour à un poids normal.